De l’Etat Jacobin à l’Etat Associé : de l’accord de Bougival et de ses implications pour la France et la Nouvelle Calédonie
Après des mois de violences et de tensions, un nouvel accord a été trouvé en Nouvelle Calédonie concernant la forme à donner au pays à la suite des trois référendums qui ont consacré la volonté générale des calédoniens caldoches comme kanaks de rester dans le giron de la République Française.
Ces accords de Bougival, nommés ainsi par les signataires, “le pari de la confiance” ouvre une nouvelle étape non seulement pour la Nouvelle Calédonie mais aussi pour la façon dont on peut penser, dans le courant principal politique, l’organisation interne de la République Française notamment par rapport à l’article 1 de la constitution qui rappelle que la France est une république indivisible.
Cette indivisibilité de la République, aujourd’hui atténuée par la phrase “son organisation est décentralisée” rajoutée en 2003, est un héritage révolutionnaire institué dans un but des plus nobles : qu’au delà des privilèges locaux d’ancien régime, tous les citoyens quel que soit leur territoire d’habitation, ne vivent que sous une seule et même loi, celle de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité. Mais cette indivisibilité a pu être utilisée non seulement contre les cultures régionales mais aussi de façon à ralentir les adaptations concernant les Outre Mers. En laissant ainsi s’entrouvrir la voie à la possibilité d’un Etat associé, il restera à affronter des questions de constitutionnalité, bien loin de la rigidité traditionnelle de la loi française qui a toujours refusé tout droit collectif qui diviserait légalement les citoyens et les territoires de la République.
Ces accords prévoient, outre diverses décentralisations et les dispositions concernant l’organisation de la filière du nickel (oh combien importante en ce qui concerne non seulement l’économie caldéonienne, la communauté kanak mais aussi la place stratégique de la France dans le Pacifique, et ce qui est d’autant plus inquiétant du fait des entrismes chinois et azeri), la disposition la plus emblématique, la plus révolutionnaire, la plus attendue de ce “pari de la confiance”: la création d’une nationalité calédonnienne, qui coexisterait avec une nationalité française pour tous les nouveaux citoyens de ce nouvel Etat, qui serait accordé à tous les citoyens d’ors et déja inscrits sur les controversées listes electorales de Nouvelle Calédonie ainsi qu’à tout citoyen français après plus de 10 ans de résidence (en compromis avec les nationalistes kanak qui voulaient rendre beaucoup plus compliqué aux français non-néo-calédoniens de voter sur le Caillou dans un but de préserver sur leur terre leurs déstinées démocratiques) créant ainsi un Etat calédonien qui ne sera pas qu’un Etat en tant que dénomination d’une subdivision de la République par décret constitutionnel mais bien un Etat de fait, qualifié de “intégré”, qui, par bien des aspects, ressemble enormément au concept d’Etat associé que l’on peut retrouver ailleurs dans le Pacifique.
En effet, reliés à l'Australie ou à la Nouvelle Zélande, il existe déjà, reconnu par le droit international et ces instances divers états “associés” aux États précédents dans un modèle hybride entre indépendance et autonomie, parmis lesquels on peut noter Niué par exemple ou encore les Îles Marshall, qui disposent de compétences encore plus étendues que la Polynésie et la Nouvelle calédonie en matière de relations internationales, disposant même de représentations à l’ONU, autrement qu’en tant que peuple non représenté, comme prévu ici dans les accords de Bougival, et d’une nationalité propre sans pour autant que ne soit remise en question ou minimisée la souveraineté de l’Etat souverain, par exemple, dans le cas de Niue de la Nouvelle Zélande.
Néanmoins, même si ce que vers quoi tend ce “paris de la confiance” semble être un Etat associé suivant le modèle Pacifique “classique”, les accords ne sont pas si clairs que cela et il reste difficile de tirer une conclusion définitive d’autant plus que l’on parle bien ici d’un Etat qui reste au sein de “l’ensemble national” laissant entendre un modèle encore une fois sui generis hybride ou l'Etat français reste présent mais le nouvel Etat calédonien intégré à la France dispose dans sa loi fondamentale comme autant de pouvoirs que disposera une constitution d’Etat souverain notamment en ce qui regarde la citoyenneté. C'est presque un retour au condominium du Pacifique où, en lieu et place des anglais, l’Etat français cogère et codirige un territoire français avec l’aide, le concours et la force légale d'autres français qui sont aussi et en même temps, eux-mêmes, souverains.
Il est singulier de constater que cette optique d'État “intégré” peut renvoyer à la version initiale de l’article premier de la constitution de 1958 qui instituait une communauté française, ambitieuse mais jamais réalisée, dans laquelle les peuples d’Outre Mer (et les anciennes colonies encore françaises en ce temps) se retrouvaient alliées et unies à la France via un système similaire mais plus large dans son échelle.
Si l’idée, la vision portée par cet accord reste tout bonnement inédite notamment en ce qui concerne la citoyenneté calédonienne, il ne faut pas non plus imaginer cette dernière comme acquise du point de vue institutionnel. En effet, les réactions fortes, souvent instillées par le contexte international ou pas, les scènes d’émeutes qui ont frappé la Nouvelle Calédonie, montrent qu’il sera sûrement très difficile pour l'exécutif de faire porter un tel accord face au Congrès français. Il convient donc d'analyser rapidement ces dimensions légales. La nouvelle Calédonie est déjà mentionnée en tant que “Etat” dans la constitution à l’article 77 (ou plutôt comme ayant reçu des compétences étatiques transférées par l’Etat français et appliquées en tant que tel par le pays), ici, cet article de la constitution ainsi que la loi fondamentale de la Nouvelle Calédonie prévoit que la forme du gouvernement calédonien puisse être définie dans un cadre français par les calédoniens eux mêmes comme l’est cet accord. Accord qui en lui-même prévoit des modifications organiques et simplifiées des définitions de cet article constitutionnel auquel finalement peu aura à changer car le cœur du changement se trouvera dans la loi fondamentale de la Nouvelle Calédonie et devrait être approuvé via un référendum et un vote par l’assemblée de Nouvelle Calédonie.
Reste à voir si l'opposition de certaines factions plus radicales des indépendantistes kanaks, qui ont fait valoir leur hostilité à ce “pari de la confiance” jusqu’aux journées internationales de Corte, fera peser sur l’avenir du traité autant que l'opposition possible de forces politiques françaises “républicaines” opposées à son idée lors du congrès à Versaille.
Si ainsi de telles dispositions constitutionnelles peuvent être des plus intéressantes, le choix aujourd’hui d’un État associées (ou “intégré”) pour la Nouvelle Calédonie peut interroger.
En effet quid des Polynésiens, qui n’ont jamais fait d'émeutes et ont montré toujours un attachement profond à la France et au règlement pacifiques des conflits suivant le strict droit international et qui eux aussi ont souhaité à plusieurs moments devenir un Etat associé.
Aurait-il fallut qu'ils mettent à feu et à sang leur archipel aidés en cela par des puissances étrangères hostiles et ingérentes comme les azéri qui n’ont pas réussi à avoir une forme de nuisance anti démocratique au Fenua comme ils l'ont eu sur le Caillou ?
Quid des corses? Le processus aujourd’hui ralenti et menacé par certaines déclarations politiques et constitutionnelles continentales d’une autonomie tant attendue avait été enclenchée suite aux houleuses manifestations qui ont suivi la mort d’Yvan Colonna, est-ce car les appels à la paix ont fonctionné et que la violence a laissé sa place aux sains et sérieux débats institutionnels que le dialogue s’est ralenti ?
Cet accord est bien né sous l'aune de la concorde, du consensus, du respect et de la confiance mutuelle mais c’est bel et bien sous des auspices plus violents et révolutionnaires qu’il fut conçu car sa genèse n’est pas celle d’un simple aboutissement institutionnel de processus référendaires mais bien le fruit des émeutes terribles qui secouèrent le Caillou.
D’ailleurs ce formidable accord a été chapeauté par Manuel Valls, mais ce dernier très (trop) jacobin, avait pourtant de façon pleine de mépris, montré une opposition sanguine à l'autonomie corse en disant que la République ne pouvait être une collection de “tribus”.
Les tribus corses valent elles moins à ses yeux que les tribus calédoniennes ?
Toujours centralisateur français puis espagnol, ce dernier devient soudainement très ouvert aux particularismes locaux, tellement ouvert que cela en devient inédit, quand il s’agit de la Nouvelle Calédonie. Le très mauvais souvenir qu’a laissé son passage à la place Beauvaux pour les corses est elle en fait plus le résultat d’une hostilité viscérale envers le peuple corse que l’expression d’un jacobinisme sincère qui a ici réussi à plus que transcender pour sortir hors de toute vision républicaine Française classique pour mener vers un fédéralisme inédit et compréhensible du point de vue culturel et géographique? Manuel Valls finira t’il par répondre à cette incohérence ou cela révèlera t’il trop sur certains de ses biais honteux ? (La réponse est peut-être surtout liée au fait que Emmanuel Macron n’a jamais montré un très grand cas du Pacifique et cherchait surtout à trouver un moyen détourné “en même temps” de se débarrasser d’une épine dans son pied européen ou d’un Caillou dans sa chaussure).
Cet accord marque tout de même un progrès très intéressant pour nos institutions sortant du très strict article 1 de la Constitution “La république est une et indivisible” qui à certains moments a pu être un formidable outil de protections des droits des citoyens et de défense de notre territoire mais qui, à d’autres moments, a pu se révéler être, au contraire, un outil vicieux et dangereux au service de l’uniformisation et de la destruction des cultures et des particularismes locaux qui constituent une force particulière pour la sauvegarde d’un esprit patriotique et citoyen fort.
Aujourd’hui, par cette accord, est entérinée comme possibilité juridique la possibilité que l’on peut être citoyen français mais par ses racines particulières au sein d’un territoire français avoir aussi une double appartenance citoyenne en accordance avec ce particularisme.
Il ne reste plus qu'à espérer que ce ne soit pas seulement la violence qui ait motivé de telles évolutions et que de façon pacifique on puisse garantir une autonomie élargie et une place plus spéciale dans la France et dans la République à nos territoire les moins métropolitains qui ont tous des particularités culturelles et économiques qui nécessitent, pour la défense de leurs équilibres locaux, des adaptations institutionnelles et juridiques sans que cela ne soit perçu comme une menace à l'identité et à l'intégrité de la France centrale et métropolitaine car, au contraire, en mettant en avant l’ancrage local, traditionnel et ancestral celle-ci se retrouve magnifiée et renforcée dans une sacralisation du lien qui unit les citoyens à leurs territoires, et à leurs coutumes dans un grand ensemble français faisait lui même lien de tradition, et de pont entre territoires et coutumes divers.
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