Les Frères Musulmans ; derrière l'actualité explications d'une pensée

L’Islam n’est pas monolythique. C’est à la fois une civilisation, une foi, une religion divisée en une myriade de courants, d’approches, de tendances et de jurisprudences, c’est aussi un ensemble de pratiques culturelles des plus diverses, c’est une histoire présente sur trois continents depuis plus de 1500 ans.
Face à la diversité de l’Islam, il est parfois difficile de se repérer et de comprendre les faits culturels, religieux et politiques qui nous viennent du monde musulman et face auxquels nous somme confrontés dans nos vies républicaines.
Ainsi, suite au tonitruant rapport commandé par l'exécutif sur l’entrisme des Frères musulmans, il est important de décrypter avant tout ce qu’est cette confrérie.


Fondée en 1928 par Hassan al Banna, il faut comprendre la confrérie des Frères muslmans, non tant comme un simple retour aux pieux ancetres, les fameux “salafs”, quand bien même il y a de nombreuses notes de salafisme dans la vision religieuse de la confrérie, mais bien en tant que doctrine organisée et même presque “rafinée” de stratégie de défense et de triomphe de l’Islam dans un contexte de modernité politique et technologique en opposition à la sécularisation et aux nationalismes.
En effet, les penseurs de la confrérie comme Hassan al Banna ou Sayyid Qutb peuvent très facilement figurer au rang de grands doctrinaires, au même titre que Giovanni Gentile ou Anton Gramsci en terme du poids qu’ont pu avoir leurs idées dans la politique du XXème siècle au Moyen-Orient et plus largement dans le monde musluman.
Avant toute chose, il faut comprendre la création des Frères musulmans dans un contexte de fin du califat liée à une forme de nationalisme ayant mené à une occidentalisation par acceptation de la modernité.
C’est ainsi que l’on retrouve dans le frérisme plusieurs caractéristiques témoignant de cette époque troublée pour la civilisation islamique de la création de la confrérie.
On retrouve par exemple une très grande emphase sur la Oumma, la communauté de tous les musulmans au delà de chaque pays, par opposition au nationalisme arabe qui fut un de ses grands adversaires mais aussi par la mise en avant du caractère unitaire de la foi musulmane (qui elle même met en avant l’unicité de l’essence divine) d'où l'idée que les musulmans sont frères.
L’Oumma doit être étendue et renforcée dans son unicité et sa solidarité. Ainsi les non membres de l’Oumma sont vus d’un très mauvais oeil, voire même dans l’idée de Qutb du takfirisme qui permet de discriminer les infidèles, les apostats et les mauvais musulmans de même que de déclarer certains pays musulmans entiers, par leur manque de ferveur dans l’application et la création d’une société purement islamique, comme n’étant pas vraiment des pays musulmans. 
Le rapport au djihad est de ce fait ambigu. Hassan al Banna parlait énormément du “djihad du coeur”, idée selon laquelle le combat du musulman doit être spirituel et tourner contre soi même, agissant de façon pacifique et voir même, et cela se revelera très important, avoir la charité comme arme et comme objectif. Mais Sayyid Qutb a pu avoir des propos nettement plus en faveur de la lutte armée, notamment dans un de ses magnum opus “Signe de Piste”.
Si de cette façon, le Hamas, qui pratique le Djihad armé, est issu d’une branche des Frères musulmans, il y a aussi un nombre incalculable d’oeuvres et de projets de la confrérie ou inspiré par le frérisme qui agit de façon pacifique, et c’est bien ce qui rend la confrérie si efficace.
En effet, on peut voir dans la pensée et la stratégie d’Hassan al Banna, une façon nouvelle et “révolutionnaire” en un sens de faire triompher l’Islam Politique par des moyens nouveaux et originaux qui ne sont pas sans rappeler, dans le coté plus materialiste et athée des idées politiques, l’oeuvre sur la subversion et l’entrisme qu’a développé dans sa stratégie politique Gramshi dans ses théories sur la domination culturelle et sur la façon dont une idéologie adverse à ces environnements (ici le communisme ou plus généralement le marxisme) peut de façon pacifique et insidueuse capturer la culture avant de capturer le champs de l’exercice politique.
Ainsi les Frères musulmans se sont énormément impliqués dans des œuvres de charité mais aussi d’éducation.
L’éducation tout d’abord est un de leurs piliers fondamentaux. Hassan al Bannat lui-même embrassa la vocation de professeur plutôt que celle de théologien et aujourd’hui encore de nombreuses écoles confessionnelles musulmanes, dans le monde arabe comme en occident sont liées à Ikhwan.
En instillant les valeurs de la confrérie au divers âges de l'apprentissage, et en s’emparant des postes clefs de nombreuses universités (lieux pourtant parfois délaissés par les idéologies religieuses) est un des aspects pivot de la stratégie des Frères car, en cela, cela permet de préparer, sur le long terme, les nouveaux esprits des nouvelles générations à une plus grande compatibilité d’avec la vision économique, religieuse, politique et sociale de la société et de l’Oumma promue par la confrérie.
Cet intéret profond et certain pour l’éducation témoigne ainsi de la relation des Frères à la modernité, loin d’être un mouvement purement anti-intellectuel appelant à un retrait du monde, les moyens intellectuels et les moyens de la modernité sont utilisés par les Frères pour rendre le monde plus conforme à leurs idéaux et leur doctrine dans un but de transformation de celle-ci vers leur vision puriste et en un sens “réactionaire” de l’islam plus que vers quelquonque fuite face à un monde impur.
C’est ainsi que l’on retrouve aussi la charité et l’action sociale au cœur des stratégies de l’Ikhwan.
En accomplissant la charité, qui constitue un des pilliers de l’Islam, non seulement les Frères musulmans se montrent en adéquation avec leur croyance mais peuvent aussi déguiser leur ambition politique, leur stratégie d’influence, et leur ambition d’encadrement de la société derrière des actes bénéfiques au service de l’Oumma, servant ainsi pour avancer autant que pour accomplir leur mission.
Les Frères musulmans sont donc une organisation redoutable, sachant parfaitement faire avancer leur projet sociétal et religieux sous couvert de la réalisation de bonnes actions et en usant des codes de la modernité notamment celles de la démocratie libérale qu’ils usent tout en se positionnant tout de même en alternative à ce modèle par définition laïc et contraire à leurs optiques et à certains de leurs objectifs.
Dans une telle approche, de façon tout à fait étonnante et redoutable, la confrérie s’est investie grandement dans le sport. Tout d’abord en utilisant le puissant outil communautaire qu’est le sport, le choix délibéré de la confrérie de s'intéresser à un domaine a priori entièrement laïc n’est pas neutre. Mettant en avant au nom du respect des minorités, de l’égalité et de la liberté individuelle, le combat pour le port du hijab dans la pratique sportive afin à la fois de faire entendre et résoner leur vision de la femme muslmanne, mais aussi de créer des tensions et des oppositions virulantes autour du refus ou du rejet de telle pratique en évoquant une forme d’’islamophobie, le rejet irrationnel et “raciste” de l’islam, mot créé par la confrérie pour déligitimiser l’opposition à leurs idées en jouant sur la nature libérale des société occidentale dans lequel l’intolérance et l’exclusion sont des anti-valeurs à combattre. 
Ainsi, lors des printemps arabes, la confrérie, ainsi que d’autres groupes politiques aux idéologies inspirées par celle-ci, fut un des acteurs majeurs des entreprises d’ouverture des nations touchéesqui souvent étaient encore dirigées par des gouvernements autoritaires issus du socialisme et du nationalisme arabe et, ainsi, à l’issue de ces révolutions, beaucoup de partis et d’hommes politiques d’inspiration plus ou moins frèriste comme Enharda en Tunisie ou Mohamed Morsi en Egypte prirent le pouvoir dans ces régions, se présentant, non en tant que religieux austères et fanatiques, mais bien en tant que réformistes musulmans, issus de la Vox Populi aussi pieux que remplis de modération démocratique, on retrouve un peu aussi ce shéma dans la présidence d’Erdogan en Turquie qui, lui aussi, à une idéologie adjacente au frérisme bien que beaucoup plus clairement nationaliste.
C’est pour cela, entre autres, que l’Ikhwan fut aussi persécuté et combattu par les divers régimes arabes mais aussi par bon nombre de puissances occidentales.
Après la prise de pouvoir en Egypte, un coup d'État chassa les Frères et la mouvance est désormais interdite dans le pays qui l’a vu naître.
De même, la confrérie a été déclarée par de nombreux pays comme organisation terroriste comme les Emirats, la Russie ou encore l'Autriche, les Etats Unis réfléchissant depuis longtemps à leur accoler eux aussi cette appellation.
Il y a néanmoins au contraire des pays sponsors de la confrérie comme le Qatar qui joue de l'orientation religieuse des Frères contre ses rivaux du golfe et qui met à disposition l’argent de sa manne pétrolière pour la diffusion de l’idéologie et du projet de l’Ikhwan.
Jouant sur de nombreuses ambiguïtés, ayant une stratégie aussi redoutable que subtile, les Frères musulmans sont un des acteurs politiques et religieux incontournables du monde islamique et influent de plus en plus les politiques européennes comme en témoigne le dernier rapport de l'exécutif, que ce soit au travers de son rôle dans les diasporas et la géopolitique mais aussi à travers tout simplement sa force d’influence intellectuelle et sa persuasion.
L’Islam est un univers riche et complexe et l’arrivée de l’Islam politique, par définition plus polémique et militant que l’aspect spirituel de cette religion et civilisation, rend des plus complexes l’analyse des rapports avec nos contemporains et la vie dans une société à l’ambition multiculturelle mais dont le socle libéral laïc peut être challengé par des visions politiques acolées aux fois religieuses qui cohabitent.
Ainsi face à ces chocs entre mondes religieux nouveaux qui viennent ébranler nos sociétés occidentales et démocratiques, il devient de plus en plus nécessaire de se plonger dans la découverte et l'étude des pensées et visions qui traversent les autres civilisations mondiales.

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