Être Paoliste 300 ans après sa naissance : comment les grands hommes transcendent l’individualité vers l’universel
Hier, le 6 avril 2025, nous fêtions tous en grande pompe dans toutes les villes de la Corse le tricentenaire du Général Paoli, le Père, u Babbu, de la Nation.
En Corse, l’esprit de Paoli est partout, des conservateurs aux quelques activistes LGBT, de la gauche continentale à la droite nationaliste, jusqu’à la minuscule poignée d’irrédentistes persistants, tout le monde dans l’univers politique de l’ile s’en revendique et célèbre son héritage. Il n’y a que les déconstructeurs historiographiques pour remettre en cause sa légende.
Et si les célébrations des centenaires Napoléoniens furent plus éclatants dans la célébration publique que le tricentenaire du natif de Morosaglia, ces quelques dernières années, en témoignage de la relation complexe et ambiguë que l’empereur entretenait avec son peuple d’origine et sa terre natale, Paoli a presque supplanté Napoléon comme figure tutélaire laïque de la Corse (la Sainte Vierge restant la Reine Indétrônable du royaume insulaire).
Mais plus que de l’affection et de l’amour populaire envers le Babbu, il y a dans ce renouvellement d’une paoli-mania, une véritable dimension politique et idéologique.
En effet, là où sur le continent tout le monde se réfère au gaullisme que ce soient les dirigeants de partis anciennement farouchement opposés à l'œuvre et l’action du grand homme de Colombey autant que des formations essentiellement pro européennes, frisant le fédéralisme, qui auraient bondi comme des cabris face à la politique résolument nationale du Général, en corse tout le monde se dit paoliste au point que le mot lui même perd de sa force d’impact là où il en gagne en universalisme et à la force charismatique d’outre tombe de sa figure totémique.
Libéral, décolonisateur, conservateur, progressiste, patriote corse, italien, français, autant de visages parfois contradictoires que revêt Pasquale Paoli chez ses nombreux partisans du XXIème siècle, eux aussi aux multiples visages. Mais derrière les totems, un homme et une action existèrent bel et bien et dont la vie justifia qu’autant de gens si différents s’emparent et se revendiquent de sa figure, à tort comme à raison.
Le destin de Pasquale Paoli était fait pour qu’effectivement tant qu’il y aura un peuple corse (et plus généralement tant qu’il y aura des gens attachés à la liberté) sa mémoire sera un talisman à la plupart des visions et actions politiques en terre Corse.
Né en 1725, seulement 4 ans avant le déclenchement de la longue Révolution Corse dont il sera le plus illustre champion et représentant, Paoli est à la figure même d’un homme des lumières autant qu’il est un héros corse typique.
Fils d’un autre héros Corse, Hyacinthe Paoli, qui sera une des figures les plus marquantes des premières phases de la révolution contre Gêne et pour l'indépendance et la liberté du peuple corse en tant que Général de la Nation au côté du roi Théodore et du Général Giafferi, Pasquale sera contraint à l’exil dès le plus jeune âge, les génois ayant réussi à provoquer la chute du royaume corse, poussant la famille Paoli, que les corses n'oublieront pas, sur les rivages de Naples, hors de la terre corse.
A Naples, il se forgera une sérieuse formation militaire, s’exerçant dans un régiment constitué de ses compatriotes corses, eux aussi exilés, au service du roi de Naples ainsi qu’une éducation sérieuse et profonde dans les humanités qui non seulement lui donneront une grande aisance linguistique à l'international mais lui permettront aussi d'être au cœur du bouillonnement philosophico politique de son siècle.
En outre, il étudie profondément, en bon corse, le latin et l’histoire romaine au point que l’hagiographie raconte des légendes le portrayant en train de réciter par cœur sur les chemins de Naples les vers de Virgile.
Pasquale Paoli continua sa carrière d’officier napolitain rêvant de revoir la Corse jusqu'à ce qu’un des derniers héros de la révolution qui a pu échapper à l’exil grâce à l'intermédiaire des français, le Général de la nation Gaffori, fut assassiné sur ordre des génois en plein Corte.
Rapidement, le 14 Juillet 1755, Pasquale Paoli de retour d'exil est élu Général de la Nation par la consulte générale réunie à Orezza et prend ainsi les reines de la révolution et de la nation en armes.
À la tête de la Corse indépendante, Paoli chassera militairement les génois qui n’était plus que recroquevillés dans des villes toujours fidèles à leur cause comme Calvi et affrontera de plus en plus l’influence des français qui s’était toujours intéressés à la position stratégique de l'île et, où, depuis au moins le temps de Sampiero, ils avaient toujours entretenu des liens politiques forts avec des personnalités corses.
Les Français s'allient d’abord à Gênes avant de “racheter” les prétendus droits de Gênes sur l'île, quand bien même la République Corse était indépendante et que Gênes avait perdu tout contrôle militaire comme symbolique depuis longtemps (voir la fameuse “Justification de la révolution corse” de l’Abbée Salvini de 1764, qui, outre la mise en avant révolutionnaire des concepts de séparation des pouvoirs, de souveraineté populaire et nationale et de démocratie, explique comment Gènes a perdu son mandat sur la Corse et offre même les contre-arguments génois).
Les français sont défaits une première fois à la fameuse bataille de Borgo par Paoli dans une victoire notée comme étant éclatante et qui aurait fini par chasser définitivement les français de l'île si la hargne du duc de Choiseul en avait pas décidé autrement.
Mais avant la chute à Ponte Novu, aussi important que son œuvre militaire, l’œuvre politique de Paoli à la tête de la République Corse indépendante reste des plus marquantes, fondant, avant les révolutions américaine et française, les bases d’un état nation démocratique étendant même au droit de vote des femmes (qui, n’en déplaise aux quelques révisionnistes soucieux d’abimer l’hagiographie paoline pour abimer la ferveur corse avec de froides relativisations que l’on voit servir depuis quelques temps, existait bel et bien dans la tradition corse).
Écrivant la première constitution moderne fondée sur la séparation des pouvoirs et le suffrage universel, son œuvre ne s'arrête pas là, fondant l’université de Corte, instaurant un système de justice pour combattre banditisme et vendetta, et préservant les innovations déjà révolutionnaires des précédentes incarnations de la révolution et du peuple corse comme le royaume théodorien. La Sainte Vierge est dédiée comme reine éternelle du royaume qui est organisé en république, et, la souveraineté du peuple est le seul pouvoir temporel que les corses accepteront sur leur île, créant un embryon de laïcité laissant une grande place à la tradition et à la foi sans que celle ci ne contrôle le fait politique, la révolution ayant été lancée par des religieux dans des couvents et ayant fourni des héros comme Circinellu (mort avec la croix sur le cœur et le pistolet à la main pour la cause d’une Corse libre) mais ayant été combattu par certains évêques acquis à la cause de Gênes dans cet île qui, pourtant, était terre papale.
Le catholicisme exerce clairement sa place naturelle en Corse mais les autres religions sont respectées et protégées, ainsi Paoli lui même veillera à l'accueil et l’inclusion de juifs fuyant l'Europe continentale dans un épisode qui rappelle les liens anciens et profond d’amitiés entre les deux peuples mais qui témoignent aussi de la nature non sectaire et proto-laïque de la République Corse pourtant entourée de gages religieux comme le renouvellement du choix de l’hymne national dans le Dio Salvi Regina.
L'organisation paoliste est ainsi emplie de traditions et d’héritages purement corses mais renforcée par les nouvelles lumières, le tout dirigé par un homme à la vision à la fois forte et emplie de pragmatisme et déterminé à permettre à la nouvelle nation indépendante de vaincre et de prospérer.
Malheureusement, cette expérience politique d’indépendance et de liberté chutera bientôt du fait de la force de persistance des français soucieux de leurs intérêts.
Ainsi, le 9 mai 1769, Pasquale Paoli est défait par la France lors de la bataille de Ponte Novu qui marque l’annexion de l'île au Royaume de France.
La bataille:
Paoli commence ainsi déjà à devenir un symbole, symbole de liberté dans le monde anglosaxon où “An Account of Corsica” de l’écossais James Boswell commence déjà à circuler créant une légende dorée au Général de la Nation qui rejoindra lui aussi la Grande Bretagne, s’établissant en exil à Londres où il continue de promouvoir sa cause et se rapprochera de nombreux intellectuels notamment Edmund Burk, un des pères de la pensée conservatrice libérale anglosaxonne.
Mais, non loin de se cantonner aux rives britanniques, le symbole qu’est devenu l’Homme Paoli traversera l’Atlantique où il deviendra une référence, une inspiration et un point de ralliement aux Pères de la Nation américaine mais aussi de l’autre côté de la manche où il sera une source de réflexion et d'admiration de la part des grands hommes des lumières comme Rousseau et Voltaire mais, également, un peu plus tard de la part d’un des fils d’un des ces hommes de confiance l'ayant accompagné jusqu'à Ponte Novu: Carlu Bonaparte.
Le jeune Napoléon, né quelques mois après l’annexion et poussé dans les armées françaises, grandira dans le culte de Paoli et de sa cause, et si l’histoire les séparera ainsi qu’elle le séparera de la Corse (mais d’une façon ambiguë et pleine de contradictions et jamais vraiment des corses), la vision politique paoliste restera toujours un des blocs de pensée de Bonaparte et de Napoléon, dont le consulat rappelle beaucoup le généralat et donc l’approche complète et pragmatique du pouvoir rappelle beaucoup celle de celui qui sera maintenant connu comme le Babbu di a Nazione.
Mais, s’il est déjà devenu un symbole, quelqu’un dont les gens les plus divers se revendiquent (bien que pour l’instant cela soit avant tout cantonné aux amoureux de la liberté), la saga de Pasquale Paoli ne s'arrête pas à ce premier exil.
Lorsque en 1789, 20 ans après l’annexion et commençant par la date anniversaire de sa prise de pouvoir corse (le 14 juillet), les premières étapes très libérales de la révolution l’amènent à Paris où il est acclamé et où il prononcera le rattachement définitif de la Corse à la France pensant que dans le cadre d’une assemblé démocratique, dans un royaume constitutionnel garant des droits, la Corse et les corses retrouvent une liberté, une autonomie et une représentation.
Mais le retournement de situation de la Révolution, le mouvement devenant de plus en plus radical et l’esprit de 89 étant remplacé par celui de 93, les paolistes puis Paoli lui même, révolté par le sort réservé à la famille royale et contre le jacobinisme ne laissant aucune place à l'autonomie de la corse, se retourne contre la République Conventionnelle et la France et s’allie à l’Angleterre qui fera temporairement de l'île, en pleine guerre civile, une vice royauté.
Dans ce tumulte corse causé par la révolution qui déchire le peuple en deux, le jeune Bonaparte qui a grandi comme Paoliste convaincu, se retrouve de part sa position militaire mais aussi de par les actions politiques de son frère Lucien, dans le camp pro français et mènera une lutte pour la France contre l’Angleterre et son ancien héros qui amènera à son exil, à lui et aux siens de Corse, mais aussi à une méfiance envers son île natale, quand bien même, elle lui manquera à de nombreuses reprises et si elle finira par ardemment se rallier à lui pendant les 100 jours.
Dans tout cela, Paoli est lui aussi défait et retourne encore une fois à Londres auprès des anglais qui lui ont été, à maintes reprises, de fidèles alliés.
Il y finira ses jours mais pas sans s'être réconcilié avec Napoléon (alors même que la guerre civile continue en Corse). Ce dernier, une fois Premier Consul, lui proposa même de revenir en Corse contre une reconnaissance du bien fondé de son action en Corse, ce que le vieux général déclina poliment.
Paoli envoya même une lettre félicitant Napoléon pour son sacre, et, s’il y aurait beaucoup de choses à écrire sur Napoléon et Paoli, Napoléon et la Corse et les Corses et Napoléon, faites d’amour, de conflit, d’incompréhension, d'admiration, d’affrontements et de solidarités, le fait est que les deux grandes figures corses ne se sont pas éteintes dans la haine l’une de l’autre.
Ainsi, Paoli fut bel et bien un homme de chair et de sang, s’il se bâtit une légende, avant de devenir une figure universelle chez son peuple, il eut bel et bien une action qui lui permit de le devenir.
Ainsi, on peut se demander si tout le monde peut vraiment être paoliste.
Comme on l’a vu en introduction, Paoli aujourd’hui revêt de nombreux visages, pour la gauche progressiste “Paoli era Gay” dite de façon provocatrice envers le Babbu qui ne s’est jamais marié, pour la parti central, européen et institutionnel du spectre du nationalisme il se battait pour une “société égalitaire” comme le déclarait la présidente actuelle de l’assemblée territoriale Marie Antoinette Maupertuis, et pour la partie droite, qui se revendique d’une approche conservatrice fondée sur l’identité du nationalisme de chez Palatinu, Pasquale Paoli est une des incarnation de la corse éternelle, fière et catholique, comme un héros que l’ile arrive à produire à chaque âge pour défendre son peuple.
Si l’on peut catégoriquement rejeter l’idée qu’il fut gay, ce slogan n’étant que de l’agitprop, le fait est que avec les maintenant 300 ans de recul depuis sa naissance, il est plus compliqué d’attribuer à l’Homme une appartenance stricte à l’une ou l’autre des grandes idéologies modernes.
Si pour le Général De Gaulle, qui a beaucoup écrit et commenté sur son temps et dont des compagnons de route sont encore en vie aujourd’hui, en dépit de son universalité et de la nature globalement positive que revêt sa mémoire, on peut dire a priori si quelqu’un oui ou non est un gaulliste “orthodoxe” à défaut d’être “authentique” (et ceux quand bien même si le gaullisme historique assemblait les personnalités les plus diverses, de la droite avec Pasqua ou Peyrefitte, au centre avec Chaban Delmas, jusqu'à une gauche devenue au fil du temps une droite conservatrice avec Pompidou et Malraux), pour Paoli qui vivait dans un temps encore plus différent que celui de la France des années 1960, cela est d’autant plus difficile.
Difficulté décuplée par le fait que, comme beaucoup de grands hommes, le pragmatisme fut avant tout ce qui guida son action et que ces combats dépassent les lignes partisanes.
Il est difficile ainsi de faire d'un homme dont l’action découle du réel, un isme, qui s'emplit de rigueur et de demandes de clarté qui ne peut exister pleinement que dans le monde des idées.
Le grand homme est infuseur des idées de son temps (ou des idées contre son temps et leur folie, comme c’est le cas de De Gaulle) et d’un bon sens et agisse d’abord suivant un instinct, une éthique du but plutôt que de la pureté idéologique, avant d’être forcément un théorisateur.
Le Marxisme est un cadre théorique, parfois intéressant pour l’analyse mais constamment calamiteux pour l’action politique, car l’idée vient avant l’action.
Le paolisme, comme le gaullo-bonapartiste, ne découle pas d’une analyse, d’un “weltanschauung”, mais existe de façon postérieure à l’action d’un homme, une action que l’on transforme avec le temps en tentative de pensée, d’idéologie, qui sont finalement plus des boussoles totémiques qu'un rigide corpus d’idées comme a pu l'être le marxisme léninisme au temps des soviétiques.
Le weltanschauung a une place en politique, c’est ce qui permet d’infuser la pensée d’un décideur ou d’un leader, mais ce ne doit pas être lorsque l'on parle de grands hommes dont l’action dépasse les camps partisans pour le salut de la cité comme ce fut le cas pour Pasquale Paoli, l’Alpha et l'Oméga de la pratique du pouvoir dont l’adaptabilité au réel est clef à la victoire et donc à la tranquillité et la sûreté du collectif.
En cela le conservatisme classique, idéologie qui se refuse d’être, fondée sur l’idée non pas de faire tabula rasa pour créer une société idéale adaptée à des grands principes que relèvent les idéologies en isme quel qu'il soit mais bien sur l’idée de la préservation du bien et de l’éloignement du mal, de la méfiance du pouvoir et de son plein exercice pour remplir néanmoins ses impératifs moraux d'existence comme la liberté et la poursuite du bonheur qui sont uniquement possibles dans une société sûre et défendue, se prête particulièrement à des grands Hommes qui ne l'ont non pas adoptée de façon dogmatique mais adaptée parfois même dans des optiques de progrès.
Paoli et Napoléon ainsi ont, dans les temps de tumulte qui furent les leurs, protégé, garanti et renforcé les structures traditionnelles des sociétés et leurs composantes fondamentales mais ont aussi, à côté de cela, étendu et mis en avant des progrès institutionnels et même des droits individuels, notamment en ce qui concerne l’égalité stricte de chacun devant la loi.
Ainsi, je repense à une conférence qui a eu lieu récemment dans le cadre de l’Institut Triomphe.
Le prince Murat venait nous parler de ce qu'être bonapartiste au XXIème siècle.
Si le prince Murat a réellement expliqué que le bonapartisme (auquel il associe légitimement et naturellement le gaullisme) n’était pas un code fermé mais avant tout une méthode inspirée d’une action d’un grand homme qui n’a jamais rien codifié d’idéologique et de celle de son neveu qui lui aussi agit en visionnaire pragmatique aux méthodes efficaces au service d’une vision plus qu’une idéologie, il pécha néanmoins lorsque vint la partie portant sur l’aspect contemporain d’un bonapartisme au XXIème siècle, trahissant plus sa pensée propre qu’une vision platonicienne d’un bonapartiste au XXIème siècle. Réfutant catégoriquement la possibilité que d'autres figures plus clairement identifié à droite, qui se revendiquent bonapartiste, une appartenance à la tradition (les définissant comme avant tout libéral conservateurs et comme étant marqués par “une pensée racialiste” que le Prince juge comme incompatible (il est vrai que le bonapartisme par sa méritocratie est par nature “color blind”)) mais prête une nature Bonapartiste à des figures de gauche souverainiste auxquelles le Prince lui même est un des plus éminents représentants tel que Chevènement qui pourtant ne s’est jamais revendiqué d’autre chose que de la gauche républicaine jacobine (le jacobinisme bien qu’ayant un lien avec le bonapartisme n’est pas une condition sine qua non, d’autant plus que durant la conférence, le Prince a montré son opposition frontale à l'autonomie de la Corse, oubliant le projet régionaliste du General De Gaulle de 1969 (qui avait pourtant été évoqué) et que c’est sous Napoléon que furent adoptés les arrêtés Miot notamment, réduisant le champs quasi infini du Bonapartisme à un seul cadran idéologique (pas forcément contraire, même plutôt compatible avec certains défis historiques du Bonapartisme comme l’a doctement rappelé le prince Murat) qui est la gauche souverainiste républicaine et laïque.
Ce petit exemple tiré d’une conférence récente illustre bien les difficultés de cadrer un “isme” autour de grands hommes aussi complexes et complets dont l’étude historique sera pour chacun plus un examen face à un miroir des vertus politiques que l'on souhaite retrouver dans un leader plus qu’une tentative d’objectivité d’élaboration idéologique.
Ainsi, pour revenir à Paoli et au Paolisme, il faut aussi prendre en compte, si on veut tenter au moins d’approcher des contours d’une ébauche d’un spectre que représenterait une forme de Paolisme, et, plutôt que de calquer des grands principes politiques, se demander quelle fut sa méthode, quel fut sa boussole d’objectif et qui furent ses alliés dans son objectif dans leurs diversités la plus complète.
Sa méthode est la même que celle de Bonaparte (et plus tard celle de De Gaulle), emplie de latinité et de tradition corse, elle est celle de la rencontre entre un homme et un peuple.
Le titre que portait Paoli ne fut pas qu’un simple titre de Président de la République, mais celui de Général de la Nation, et même de Général en chef.
La nation corse a toujours su au fil des siècles s'incarner dans des héros représentant souvent la volonté générale (ayant même souvent été élus) et prenant en charge le destin de la Patrie à des moment clés : Sambucucciu, Sampiero puis Paoli.
On retrouve une conception similaire du pouvoir dans son incarnation féodale (avant que le légendaire Sambucucciu vienne y mettre fin quand le système était devenu source d'oppression) chez les Comtes de Corse qui, pour obtenir ce titre de souverains, devaient prouver leur valeur en contrôlant tout le territoire, prouver leur lignage en appartenant à la maison de Cinarca, descendant de Ugo Colonna, et prouver aussi l’adhésion populaire par des élections populaires.
Mais c'est la révolution corse avec la création des offices de généraux de la nation qui marquera le plus cette conception du pouvoir hérité des romains.
Car, en effet, par son titre et sa fonction Paoli, imprégné de culture latine comme tout corse lettré qui se respecte à son époque, renvoie beaucoup à l'idée antique du dictateur, avant que ce mots ne devienne synonyme, à tort, de despote, ayant des pouvoirs étendus, incarnés et personnels, mais issu d’un mandat populaire dans un temps de crise.
La Révolution corse, que ce soit sa période Théodorienne comme sa période Paoline, s’appuie sur ce rapport du pouvoir entre un exécutif fort et un peuple tout aussi fort, dans une structure proto-bonapartiste comme brillamment décrit dans l’ouvrage La Corse, Terre de Droit - Essai Sur le Libéralisme Latin et la Révolution Philosophique Corse (1729-1804) de Antoine-Baptiste Filippi.
Paoli fut désigné par la consulte et exerça un pouvoir étendu non pas en dépit de la volonté du peuple mais en exécution de celle-ci dans une logique rappelant explicitement Cincinnatus.
(il est amusant de noter que par le truchement de Napoléon et les réformes gaullistes, la Corse ait tant inspiré de ses traditions, à la fois locales et romaines, la conception française du pouvoir).
Ainsi le paolisme est une autorité consentie, qui ne saurait se confondre avec une oppression mais qui, au contraire, est mobilisée pour lutter contre elle.
Mais cette autorité fut celle d’un homme ayant une pensée propre ainsi, pour comprendre le paolisme, il faut se pencher sur ce cas plus complexe.
Paoli fut un homme inscrit dans ce contexte des lumières, un temps où nos idéologies contemporaines furent plus à l'étape de la conception que de la gestation ou de la naissance.
Paoli correspondait beaucoup avec Jean Jacques Rousseau, père en un sens des idées progressistes via son idée de Nature bonne de l’homme que la société corrompt, et il l’invita même à venir le voir en Corse et il l'aurait surement fait si ce n’était pour son caractère craintif et la propagande anti-corse dont l’abreuva un officier français.
Mais si Paoli fut ainsi en contact avec Rousseau de façon étendue et éminemment politique, il fut aussi très proche d’Edmund Burk, père du conservatisme classique et du Liberal conservatisme, il correspondit aussi avec Hume qui, bien qu’indépendant, fut parfois plus proche des tories dans son approche politique et historique que des whigs, et son grand biographe et compagnon de voyage James Boswell, quant à lui, fut un élève d’Adam Smith et fut l’auteur d’une très fameuse biographie de son ami Samuel Johnson, lui aussi grand conservateur anglais classique qui sera lui aussi un soutien de Paoli l'exilé.
Ainsi dans ce bouillon d’idées et de philosophies que furent le XVIIème siècle, Paoli ne fut en rien sectaire (y avait-il véritablement du sectarisme partisan chez les démocrates d’avant la révolution française?) et infuse des penseurs de son époque au-delà des fruits idéologiques qui pousseront des siècles plus tard des racines et des branches de leurs pensées.
Paoli fut franc-maçon mais encore une fois, de part le respect et la place qu’il accorda au catholicisme, mais aussi de son choix de la franc maçonnerie écossaise à l’anglosaxonne, plus déiste et plus “conservatrice” plutôt que de la franc maçonnerie continentale, font que l'on peut voir en lui plus les signes d’un homme de son temps curieux, ouvert et libre plus que d’un prototype de jacobin “progressiste” qu’il combattit de toute façon.
La tentation que l'on a tous de voir dans le grand homme un reflet de ses idées est toujours forte mais dans la réalité Paoli dépasse déjà les clivages avant même que les clivages s'établissent tout à fait.
Car plus qu’une idéologie, ce qui mouvait u Babbu fut avant tout un objectif, une boussole immuable pour son action : la liberté pour le peuple corse.
S’il doit y avoir une essence du paolisme c’est bien cela et c'est cette mission qui le rend aujourd’hui si universel.
Prenant les reines de la république et de la révolution corse, sa mission première fut de garantir l'indépendance de la Corse et d’y maintenir la paix dans cette île menacée de toutes parts et abritant un peuple divisé et à la nature guerrière mue par l'honneur et donc prompt à la querelle. Cherchant des soutiens à l’étranger, réformant l'État pour le renforcer, dirigeant les armée face aux envahisseurs, Paoli avait pour mandat et comme but de s’assurer le salut et par-dessus tout la liberté des corses et de la Corse.
Liberté face à Gênes, face à la France, face à la vendetta, face à l'oppression.
Lorsque surviennent la défaite et l'exil, ce combat ne cesse pas pour autant d’être l’objectif que se fixait Paoli.
Ainsi, s'il chercha à s'assurer de soutien anglais à sa cause, il se préoccupa aussi toujours de la place que les corses trouveraient une fois annexés à la France.
Ainsi, il n’en voulu pas à Carlu Buonaparte de tenter de s’intégrer dans la société du nouveau royaume dominant et de tout faire pour que ses enfants trouvent des places de choix dans cette nouvelle société, au contraire dans sa correspondance, il enjoint même ses neveux (il n’eut jamais d’enfant à lui) a aussi trouver par l’éducation une place en France et à tous les corses de tout faire pour briller même dans un contexte où l'autonomie et l’indépendance fut écrasée.
Lorsque en 1789, les cahiers de doléance d’Ajaccio et de Bastia demandent la réunion de la Corse à la France (le traité de Versailles de 1768 entre la France et Gêne qui a fourni la justification Française de l’invasion de la Corse indépendante maintenait en effet la fiction de la “possession” de la Corse par Gênes, qui avait été chassé de l'île par les corses, et le Roi de France occupant et administrant l'île qui reste génoise) qui sera effectif 30 novembre 1789, Paoli se rallie à la cause, voyant en cela une ouverture pour la Corse et les corses vers une liberté que garantissait la France dans l’esprit de 1789 déclarant même “Lorsque la patrie a obtenu la liberté, elle n'a plus rien à désirer”, “L'union libre à la nation française n'est pas la servitude, mais la participation de droit” considérant que cette réunion est fait dans une idée de décision du peuple corse libre et suivant une optique qui sera bénéfique pour l'île et surtout son peuple.
Ainsi, Paoli retourne d'exil dans une Corse française avec enthousiasme et espoir sans haine ni reproche car il voyait en cette réunion une opportunité de liberté, un acte populaire et aucune contradiction entre celle-ci et la liberté des corses.
Et ainsi, lorsque la révolution devenue folle, tuant le roi, la reine et les prêtres, étouffant les provinces, devenant oppressante pour la Corse et les corses (la nouvelle République Française allant jusqu’à dire à Gênes que les traités seront respectés, annonçant ainsi presque une “rétrocession” de la Corse à Gênes en dépit de la volonté du peuple), Paoli toujours dans l’intérêt de la liberté de ses compatriotes sera engagé de nouveau en opposition à la France (tandis que les Bonaparte, anciens paolistes verront eux plus d’opportunités pour les Corses dans la Révolution Française) et se ralliera à ses anciens amis anglais qu’il estimait plus capables de respecter la volonté et la liberté du peuple corse dont il est redevenu le leader (cette fois ci beaucoup plus contesté qu’auparavant).
Que ce soit dans un giron français, anglais ou au travers une République Indépendante, l'intérêt de Paoli fut la liberté pour son peuple et le respect des droits de ce même peuple. C’est ainsi à la fois l'ancêtre de tous les autonomistes, de tous les indépendantistes mais aussi de tous ceux qui voient dans la France une opportunité pour les corses (et même pour les quelques irrédentismes car Paoli, de par son histoire personnelle et de par le contexte culturel de l’époque, voyait en la liberté de la Corse un phare pour éclairer toute l'Italie).
Cette optique de servir le peuple corse avant tout est le moteur et l’objectif unique de Paoli et ainsi c’est pour cela que, qu’importe les idées bien contemporaines qui séparent les corses, toute personne qui a à cœur la reconnaissance et la dignité des corses peut se revendiquer être un des nombreux “zitteli” du Babbu.
Etre Paoliste n’est pas une stricte adhésion à un programme, cela ne signifie pas avoir telle ou telle opinion à propos de la fiscalité, de l’immigration ou de la sécurité sociale, ce n’est pas une grille de lecture du monde qui aide à déterminer qui sont les amis et qui sont les ennemis, c’est avant tout une aspiration à la liberté, à la protection et au renforcement de celle-ci.
Être européen ou souverainiste, de gauche, du centre, de droit, conservateur ou progressiste, autonomiste ou indépendantiste, tout cela à côté de cette aspiration pour les corses et la Corse ne sont que des détails rendus minuscules à côté de la nécessité absolue de la Liberté dont ce grand homme pragmatique fut un des plus brillants symboles de son temps faisant qu’aujourd’hui tout le monde, a raison, veut être Paoliste.
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