Critique : Weezer - L'Album Bleu

 C'est étrange de se dire que l'Album Bleu de Weezer, disque qui, plus que tout autre, capture l'esprit de la jeunesse, a maintenant plus de 30 ans. Sorti en 1994, la même année que Dookie, MTV Unplugged, Crooked Rain, Crooked Rain, Grace et, de l'autre côté de l'Atlantique, Definitely Maybe, cet album éponyme de Weezer constitue en soi une petite révolution musicale. Bien qu'il s'inscrive dans la lignée de Nevermind, comme d'autres albums précédents, il contribue à s'éloigner du son grunge qui avait marqué le début de la décennie. L'Album Bleu, en particulier, aidera à orienter l'alternatif américain vers des territoires plus légers et amusants, ouvrant la voie à des groupes comme Fountains of Wayne, OK Go ou même CAKE, dans une certaine mesure. De plus, bien que dans une moindre mesure que leur deuxième opus Pinkerton, cet album a aussi eu une influence notable sur l'émo, qui commence alors à s'extirper définitivement du monde du punk hardcore pour revenir progressivement dans le spectre plus large du rock. Il ouvre, à long terme, la voie à des groupes comme American Football et leur légendaire album éponyme de 1999.

L'Album Bleu, surnommé ainsi en raison de son inoubliable pochette, est indéniablement fun ; pour moi, il est indissociable du début de l'été. Il s'inspire des Beach Boys, tant dans l'esprit que dans certaines harmonies vocales et la profondeur mélodique des diverses chansons qui le composent. De manière plus inattendue, une autre source d'inspiration principale est le hard rock FM des années 80 et le heavy metal, comme en témoigne particulièrement le riffing et certains solos de guitare. Bien que ces éléments soient bien ancrés dans un contexte alternatif, ils évoquent la virtuosité et l'aspect divertissant de ces genres, sans en retenir tant l'agressivité que la texture sonore et l'atmosphère particulière. Rivers Cuomo était fan de ce style musical avant que Nevermind ne le pousse à changer, pour le mieux, de direction musicale. Outre ces influences, il cite explicitement Kiss dans la chanson "In the Garage", qui encapsule en quelque sorte l'intention musicale de l'Album Bleu : une célébration à la fois joyeuse et introspective de la maladresse et du décalage social du nerd américain, dont la pochette est devenue l'une des représentations graphiques les plus iconiques, tout comme le son de l'album est devenu un hymne. "In the Garage", qui n'est pas forcément la chanson la plus emblématique de l'album, est pourtant un véritable manifeste du style Weezer.

Plus que tout autre, cet album explique les nombreux détournements dont il a fait l'objet depuis. L'Album Bleu est un disque dont on chante à haute voix toutes les paroles, de "My Name is Jonas" jusqu'à "Only in Dreams", y compris "No One Else", dont la "misogynie" maladroite et puérile est empreinte de cet humour à la fois sincère, autodérisoire et décalé, si caractéristique du groupe. Même si l'aspect idiosyncratique des paroles est moins prononcé que sur l'étrange Pinkerton (dont on peut voir des prémices ici, comme dans "Say It Ain't So"), l'Album Bleu parvient tout de même à offrir un univers vraiment particulier tout en restant profondément relatable. Un bon exemple, outre "In the Garage", serait "Only in Dreams". Portée par une ligne de basse mélancolique et envoûtante de Matt Sharp, qui quittera le groupe après le deuxième album pour fonder The Rentals, cette chanson de 11 minutes conclut l'album à la perfection. Elle contient le récit d'un amour qui "n'existe que dans les rêves", pour une fille tellement évanescente qu'elle existe "entre les molécules d'oxygène et de dioxyde de carbone", et on se dit que c'est une bonne chose qu'elle "flotte dans les airs".

"Buddy Holly" et "Undone (The Sweater Song)" fonctionnent toutes deux comme les pièces centrales de l'album, ayant été les deux singles au succès le plus retentissant, notamment grâce à leurs clips cultes. Ces deux chansons partagent une originalité exacerbée, à tel point que le groupe hésita dans un premier temps à les inclure dans l'album. La première, avec son ambiance rétro et ses touches de vocabulaire issues du hip-hop, est un autre exemple du caractère unique de Weezer et de l'écriture de Rivers Cuomo. Elle est portée par un aspect musical particulièrement réussi, avec un riff aujourd'hui devenu à la fois culte et même. La seconde, plus tourmentée, témoigne de l'environnement grunge de l'époque, mais son refrain, tout simplement fun et accrocheur, a ouvert la voie à toute une série de chansons cultes du rock alternatif des années 90. Elle allie ainsi la distorsion et l'angoisse typiques du genre à un aspect plus doux et original.

Aujourd'hui, l'Album Bleu est devenu un pilier fondamental dans l'histoire du rock indépendant et alternatif américain, voire même britannique. Sa pochette est parodiée et détournée, devenant un élément central de nombreux mèmes, preuve de l'appropriation de cet album par la génération Z. Sorti l'année où les plus "vieux" représentants de cette génération naissaient, cet album capture de manière si énergique et joyeuse une forme de geekerie juvénile qui reste tout aussi actuelle, voire même plus qu'elle ne l'était en 1994.

-Note : 19/20 -Année de sortie : 1994 -Genres : Rock Alternatif, Rock Indépendant, Emo



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