Critique : Tous les garçons et les filles - Françoise Hardy
Plus qu'aucun autre album, le premier album de Françoise Hardy symbolise l'innocence perdue.
Paru avant la Beatlemania et la British Invasion en 1962, venant amorcer le début d'une brillante carrière d'une jeune chanteuse que la France découvrit alors que le pays retenait son souffle dans l'attente de la confirmation de l'instauration du suffrage universel pour l'élection du président voulue par le Général, ce disque fut de façon surprenante à la fois profondément ancré dans son époque mais aussi largement en avance.
Paru avant la Beatlemania et la British Invasion en 1962, venant amorcer le début d'une brillante carrière d'une jeune chanteuse que la France découvrit alors que le pays retenait son souffle dans l'attente de la confirmation de l'instauration du suffrage universel pour l'élection du président voulue par le Général, ce disque fut de façon surprenante à la fois profondément ancré dans son époque mais aussi largement en avance.
Quelques mois avant Please Please Me, Françoise Hardy propose un album de rock'n'roll intimiste et cohérent dans lequel elle est créditée sur quasiment toutes les chansons, préfigurant le nouvel air du « singer-songwriter » qui allait arriver, inspiré par les Beatles et par son futur admirateur Bob Dylan.
Françoise Hardy est l'une des rares artistes françaises qui a su utiliser et comprendre l'album en tant que médium artistique de prédilection pour la musique populaire à travers des disques devenus cultes comme « La Question », qui ont su traverser la Manche et l'Atlantique. Dès ce premier opus, sorti en 1962, on retrouve déjà pleinement cette sensibilité.
L'album a de nombreux aspects "charmemants" rétro, voire désuets, via des références à des danses à la mode comme le twist ou le cha-cha, mais a aussi des aspects presque révolutionnaires, notamment dans la façon dont Françoise choisit de faire un album presque entièrement mélancolique et personnel, laissant entrevoir déjà beaucoup sur sa future carrière en dépit de la "naïveté" ou plutôt de l'innocence qui semble transparaître initialement et qui permet ainsi, via ses chansons d'amour teintées de rock'n'roll pré-Beatles, de donner une vive impression nostalgique de l'adolescence dans la France de la petite enfance de la Ve République..
La production aussi est particulièrement notable pour ces aspects innovants, par leur dépouillement efficace. Le jeu de guitare aussi est notable (on dit que Jimmy Page aurait été musicien de studio, mais cela est probablement du domaine de la légende) qui, de façon presque improbable, pourrait préfigurer les Byrds, George Harrison et, à travers eux, Johnny Marr et tout le C86, particulièrement exemplifiable à travers le sommet de l'album "Le Temps de l'Amour" dont la musique a été écrite par Jacques Dutronc bien avant les débuts de la légendaire et tumultueuse histoire d'amour compliqué qui l'unira à Françoise Hardy.
"Tous les garçons et les Filles", la chanson, résume bien l'ambiance du disque auquel il prête son nom en racontant à la première personne, dans un rythme si particulier, les promenades solitaires de Françoise Hardy qui se lamente du manque d'amour d'une façon qui pourrait presque être celle de Morrissey, un de ses admirateurs, 20 ans en avance et dans une sobriété évitant les excès du Mancunien.
Il n'est pas étonnant que cet album rencontre un tel succès à l'international, Françoise Hardy incarnant plus que parfaitement une image de la jeune française, sophistiquée mais accessible, dans un son à la fois moderne et innovant pour l'époque. C'est ainsi que cet album, que ce soit la pochette ou sa musique, plus qu'aucun autre album français ressort souvent à l'étranger. On pense ainsi à la mythique scène sur la plage de Moonrise Kingdom de Wes Anderson illustrée du "Temps de l'Amour". La version internationale, renommée "The Yé Yé Girl from Paris", de ce premier disque de Françoise Hardy est ainsi l'un des albums francophones qui s'est le mieux exporté au point que son esthétique, avec certaines œuvres de Gainsbourg, fut même au Japon l'un des blocs d'inspiration primordiale du genre indé Shibuya-kei. Mais au-delà pour la France elle-même, c'est non seulement le lancement de l'ère des yé yé mais c'est aussi un témoignage d'une grande qualité musicale, empreint prophétiquement d'une nostalgie d'été mourant, d'un temps plus libre et plus insouciant dont Françoise elle-même devint l'un des symboles les plus aimés et rayonnants.
-Note : 17/20 -Année de sortie : 1962 -Genres : Rock'n'roll, Yé-Yé, Chanson Française
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