La "Tribu Corse" dans la Constitution : En finir avec le mépris jacobin
Sans vouloir entrer dans les nombreux débats corses sur le processus de Beauvau, la question de l’autonomie a resurgi encore une fois dans l'actualité.
Les récentes annonces sur la bonne avancée du projet d’autonomie pour la Corse n’a pas manqué, chez les jacobins de gauche ou de droite, de provoquer l’ire de nombreux politiciens parisiens.
Notamment pensons aux déclarations sur les antennes de Europe 1 et CNews de l’ancien ministre de l'intérieur et premier ministre Manuel Valls, de triste mémoire en Corse, qui , de façon quasiment raciste (encore cette assimilation du peuple corse à un ensemble de barbares claniques et tribaux) a déclaré à propos de l’autonomie pour la Corse que “La France n’est pas une addition de tribus” critiquant par là le fait que le peuple corse, réalité historique, culturelle et linguistique depuis la nuit des temps et qui a offert à la France un grand nombre de ses plus fidèles serviteurs sans qu’ils en oublient leurs racines, soit enfin reconnu dans la Constitution.
Si l’engagement européen de Manuel Valls pour l’unité de l’Espagne et contre l’indépendance de la Catalogne peut expliquer pourquoi il parle d’un projet d’autonomie de façon aussi négative (sans pour autant excuser le pauvre choix de mots insultants pour une population contre laquelle il doit avoir déjà un certain nombre de griefs comme le montrent ses propos à la limite du racisme en assimilant constamment les corses à la violence), il n’en exprime par là pas moins que l’expression d’un sentiment politique profondément ancré dans l’idéologie de la France continentale et métropolitaine, particulièrement en ce qui regarde le personnel politique parisien.
De tels sentiments d’hostilité à l'autonomie (parfois cachant une hostilité aux corses eux mêmes) ne sont pas exclusifs à Manuel Valls : ainsi des membres du Rassemblement National ont eu des paroles très dures contre l’autonomie pourtant voulue par les corses eux-mêmes (revoir les propos hostiles contre la langue corse proférés par le chef du Parti, Jordan Bardella).
La droite des Républicains est elle même divisée sur la question, certains étant, dans ce parti d’élus locaux, favorables à l'autonomie du peuple corse, fidèle au gaullisme depuis toujours, pour favoriser les identités régionales et d’autres, au contraire, non, du fait du principe jacobin d’unité républicaine comme l’illustre l'opposition de Bruno Retailleau au projet dans le cadre de l’ouverture à la Bretagne que LR avait soutenu au niveau local.
Idem pour la gauche, encore teintée de “chevenementisme” et de l’esprit de Mitterrand.
La majorité présidentielle à l’origine pourtant des discussions actuelles, qu’a portées le Président Macron, quasiment 100 ans après que le président Alexandre Millerand osa déjà parler d'autonomie, et réaffirmées par le premier ministre actuel Gabriel Attal, est divisée sur la question.
Il n’est finalement que Reconquête qui, à travers Marion Maréchal, s’est montré unanime dans la défense de l’autonomie au nom de la défense de l'identité et de la culture corse, y compris de la langue, dans une optique conservatrice dont se revendique ce parti qui a connu en Corse un de ses meilleurs scores aux précédentes élections présidentielles, mais aussi les écologistes qui, bien que n’étant pas vraiment sur la même ligne que les corses, et parlant peu de régionalisme aujourd’hui, ont longtemps été alliés des nationalistes corses depuis les origines du mouvement, avant leur tournant urbain et extrême-gauchisant, alliance datant l’époque où le localisme et l’écologie étaient leur cheval de bataille.
Sans vouloir distribuer des bons et mauvais points aux partis politiques qui ont chacuns leurs origines et visions idéologiques qui affectent leur regard sur la régionalisation et l’autonomie, et nombreux des grands partis structurants ont des nuances et divergences internes sur ces questions, le fait est, outre le phénomène bien réel d’hostilité envers les corses, qu’il est souvent facile de constater auprès de la population parisienne, ou plutot des “capitaliens” car ils reste tout de même des parisiens agréable et ouvert, il est clair que la vision jacobine des choses, en dépit des succès polynésiens de l’autonomie, des siècles de mépris envers les provinces, et du geste présidentiel envers la reconnaissance de la Corse par des moyens constitutionnels, reste la vision qui a le plus de droit de cité dans le paysage politique.
La vision jacobine est même tellement enracinée dans la psyché française que c’est même cette question, du fait du terrible échec du Oui (qu'avait soutenu la Corse, de même que l’Alsace et la Bretagne) au référendum de 1969 sur la régionalisation, qui a fait partir du gouvernement l’un des meilleurs et plus héroïques dirigeants que ce pays ait connu, le Général De Gaulle, du fait de l'échec de ce projet pourtant salutaire.
Alors que l’on parle de plus en plus de diversité culturelle, la diversité culturelle naturelle de la France est toujours autant remise en question et critiquée de toutes parts, les révoltes rurales qui secouent le pays, bien qu’étant avant tout animées autour de questions économiques, peuvent ainsi d’une certaine façon être vues comme une révolte de ces parties là de la Culture Française que l’on cherche à enterrer en brandissant l’unité républicaine : c’est un rappel lancé aux parisiens que, s’ils aiment le fruit du terroir, cette richesse ne vient pas pour autant d’une norme centralisatrice mais bien de la sueur et du travail d’Hommes et de Femmes qui l’ont reçue en héritage et en gardiennage comme l’on reçoit une langue ou une coutume.
La République peut rester une et indivisible, en esprit et en cœur, tout en permettant à ces régions et provinces de protéger et de partager leur héritage culturel et leur particularité dans un système prenant en compte celles-ci et lui donnant une forme d’expression politique démocratique et républicaine.
Néanmoins une grande partie de la classe politique française, de Mélenchon à Dupont-Aignan, semble plus fidèle à l'esprit de 1793 faisant de la République un moule parisien dans lequel tout ce qui dépasse est coupé, à la guillotine ou mis à brûler dans le four à pain.
Si l’approche de la IIIème République, immensément jacobine, avait fonctionné dans sa mission d’éducation et d’unification du peuple, le fait reste que, pour ce bien fait, le prix à payer a été l’éradication d’une autre forme de lien social, plus local et d’un patrimoine culturel d’une grande richesse qui aujourd’hui nous manque.
Une autre voie était possible et le succès de l’autonomie dans le Pacifique l’illustre magnifiquement.
L’éloignement de la Corse d’avec la France n’est pas lié à la tectonique des plaques mais bien au mépris envers elle d’une partie des élites et d’un manque de reconnaissance de ses spécificités naturelles, que ce soit sa nature d'île, mais aussi sa culture et sa langue vivante, la force de ses traditions auxquelles le peuple Corse est farouchement attaché et qu’il souhaite partager avec le reste de la République.
Les processus de Beauvau, qu’importe les nombreuses questions de politiques corses que cela peut soulever, vont ainsi dans un sens d’une réconciliation en reconnaissant non pas une “tribu corse” mais bien une voie corse au fait d'être français ainsi que des spécificités structurelles et économiques du fait d’être une île.
Pensons à nos compatriotes du Pacifique, aux îles Marquises, qui, en beau projet scolaire, ont créé une marianne polynésienne afin qu’elle puisse orner les tribunaux de Polynésie Française : ces polynésiens patriotes sont ils une “tribu” séditieuse, vivant dans une autonomie non-républicaine, ou sont ils de braves français qui ont compris que l’on peut être à la fois fier de la France et fier de ses racines particulières et ancestrales, même en ayant ses racines plantées à l'autre bout du globe, à des milliers de kilomètres de Paris ?
Ce petit exemple récent montre que l’on peut être polynésien et républicain, tout comme demain il pourra être tout à fait naturel dans le cadre de l’autonomie de montrer que l’on est tout à fait corse et tout à fait républicain.
D’ailleurs au Fenua, dans son autonomie, le problème vis à vis du continent (ou métropole) ne vient pas de sa présence, de l’appartenance du fenua à la République, mais bien du fait que celle-ci oublie souvent ses administrés patriotes du Pacifique tout en ayant parfois, lorsqu'elle s’en rappelle des poussées fiévreuses de micromanagement à son égard, et lorsque l'on se penche sur la question, il est facile de constater que, même auprès des indépendantistes au pouvoir actuellement (pour des raisons de politique intérieure et d’alternance gauche-droite), il n’y a pas d’animosité envers la France, même eux l’incluant dans leur projet, bien que, malgré tout, malgré l’oubli, il récolte tout de même du mépris de la part de la caste élitiste parisienne jacobine.
Ainsi, rappelons-nous l'attitude de l'hémicycle face aux députés polynésiens, d’hostilité franche et crasse, allant de la rigolade face à l'accent ou de la moquerie des tenues traditionnelles honorifiques.
Il existe encore, et cette petite phrase de M. Valls sur les “tribus” une vision empreinte de mépris, si ce n’est pire, envers les français dont leur tradition française ne sont pas celles d’au dessus de la Loire, mais celle de leurs ancêtres ayant rejoint la Nation plus tardivement.
Le Jacobinisme, la centralisation, la haine des cultures françaises rurales ou ultramarines face à la culture parisienne, est encore un virus rampant;
S’il y a évidemment des arguments pour promouvoir l’unité de la nation, la République “une et indivisible”, il n’est pas obligé de passer par l’oblitération des cultures régionales (qu’un processus d’autonomie participe à protéger).
Ainsi, à droite comme à gauche, existent des arguments sérieux pour la régionalisation et l’autonomie et certains politiciens continentaux de droite comme de gauche (bien que ce soit de la gauche de gouvernement que l’on doit la désastreuse réforme des régions de François Hollande) entendent et, même, professent de tels arguments.
Ainsi, la droite devrait voir, dans l’effort de conservation et de promotion des langues régionales, un bel avancement du conservatisme, à même de promouvoir un style de vie fondé sur le local et mettant en avant la famille, de plus cette “endoculturalisme” peut être une alternatives au multiculturalisme et à l’américanisation des esprits.
La gauche, elle, peut voir une avancement dans la reconnaissance du droit des minorités, la réparation d’une injustice historique, une alternative à “l’ultralibéralisme” du monde des grandes villes et métropoles, une opportunité de construire un “système plus juste” à l'échelle locale et d’ailleurs le projet de la majorité autonomiste de l’Assemblée Corse est un projet de centre-gauche que ne renierait en soit pas forcément Manuel Valls s' il ne venait pas d’une “tribu” adverse.
Il faut que la classe politique arrête de croire que les identités régionales sont une menace contre la France, au contraire, elles sont la France.
On peut être français “par le haut”, par Hugo, Jeanne d’Arc, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, etc mais on peut aussi l’être à travers l’amour des paysages des côtes bretonnes, la poésie occitane, les polyphonies corses, le rhum antillais, etc.
La culture d’un pays, ce n’est pas que ses grands rois et ses grands écrivains, c’est aussi les chants de ses paysans, ses savoirs faires ancestraux, son terroir et toutes ces choses purement démocratiques faites par le peuple et pour le peuple et transmises de génération en génération par le peuple lui même.
C’est cela que l'on insulte véritablement par des postures rigidement jacobines et par un refus catégorique de donner une expression et une reconnaissance à cette partie de l’âme de la France que sont les particularismes régionaux et la défense de telles traditions.
Traditions qui ne sont pas les reliques d’un passé fantasmé mais bien le feu ardent du présent d’offrir à l'avenir de telles richesses et diversités culturelles purement françaises dans toutes les variétés de ses expressions.
Ces langues régionales ne sont ni des menaces ni des substituts au français, qui reste la langue de notre union, de notre destin commun et de notre héritage partagé, riche de sa littérature prodigue et mondialement renommée, mais ces langues aussi sont inséparablement les langues de la France.
L'arpitan, l'alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le créole, le flama, les langues d'oïls et d'oc dans leurs diversités et unité, le tahitien, et même un peu le latin, sont toutes les langues du peuple français, de son histoire, de ses paysages, de ses traditions, de son destin. Pratiquer ces parlers ne crée pas un risque de “tribalisme” mais, au contraire, approfondi ce qu’est être français et reconnecte les français qui font le choix de les perpétuer et de les pratiquer, ce, avec un sens approfondi de ce qu’est le “vivre ensemble” dans le sens d'Ernest Renan, nous rappelant que, malgré les différences, après tout, toutes ces régions diverses ont une unité et un amour commun de cette unité.
Ces langues et traditions ne menacent pas d’éclater en tribus, l’unité républicaine mais au contraire raffermissent dans son ancrage l’appartenance de toutes ces langues et cultures à la grande tribu républicaine française.
Les brimer de façon jacobine ne renforcera pas l’unité et l’indivisibilité de la France mais, au contraire, créera de la défiance entre citoyens pour qui, être français, passe par leur appartenance régionale et, ainsi, si le Français est la langue de la république, ces langues dites régionales sont celles de la France et si l’unité républicaine, à la façon voulue par ses robespierristes de gauche ou de droite, se fait contre ses langues et cultures organiques, naturelles, ancestrales, françaises, désirées et inoffensives, au contraire, viendra de cette brimade, le spectre du sentiment anti-français et du séparatisme qui serait évité en prenant en compte la diversité naturelle de ce qui constitue la France et des façons particulières d'être français.
Le particularisme n’est pas l’obstacle à l'universalisme, il en est le véhicule.
Et si la troisième fut un succès en son temps pour l’unité des français, l’intransigeance de sa lutte contre les langues et culture régionale plutôt que le choix d’embrasser cet héritage est bel et bien ce qui a planté les graines des indépendantistes.
Il faut arrêter de voir les exemples, différents entre eux en plus, du Royaume Uni et du Royaume d’Espagne pour accabler les langues régionales mais plutôt regarder l’Italie ou l’Allemagne où, si des lignes de fractures économiques existent, le respect des traditions et de l’autonomie de chacun n’a jamais entaché l’unité tant désirée par ces nations.
Néanmoins, il n’y a pas que des mauvais aspects : à cette saillie “vallsienne” sur les “tribus” : si les corses ont une organisation tribale, les corses seront alors peut être éligibles selon les critères onusiens du statut d'autochtone, devenant le deuxième peuple d’Europe, après les Sammi, à être reconnu comme tel. Et puis d’ailleurs les mazzeri ne sont il pas un peu des chamans?
Pour finir, il est bon de rappeler que durant son engagement gouvernemental, un des meilleurs combats dans lequel Manuel Valls s'était engagé, était la lutte contre l’antisimitsme, et concernant ce combat, la “tribu corse”, que Manuel Valls semble dédaigner, a toujours été, de toutes les tribus républicaines, une des plus vaillantes pour protéger ses compatriotes quelques que soient leurs religions, des agressions injustes et de la haine.
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