Critique : The Beach Boys - Pet Sounds

Tout a déjà été dit, écrit, pensé, théorisé, analysé, étudié, etc. à propos de Pet Sounds. Aucune des lignes qui va suivre ne vous fera ni changer d'avis, ni vous fera découvrir quelque chose sur le chef-d'œuvre de Brian Wilson. Néanmoins, malgré tout, il est irrésistible, inévitable, inconcevable de ne pas modestement apporter ma pierre à l'édifice et de ne pas ainsi faire ma petite critique de cet album si fondamental et important.

Sorti en 1966 (le même jour que le tout aussi fondamental et révolutionnaire Blond on Blond), Pet Sounds est depuis considéré par beaucoup comme le meilleur album de tous les temps. Et même si pour d'autres, ce titre revient de droit à Sgt. Pepper, il est important de rappeler que ce dernier est sorti un an plus tard et, de l'aveu même de Paul McCartney, n'a été que la réponse des Beatles au monument qu'a constitué l'album des Beach Boys.

Pour continuer dans la mise en contexte historique préliminaire, Pet Sounds est le fruit direct du génie chaotique de Brian Wilson, qui a toujours cherché à émuler le son orchestral de Phil Spector (dont les fameux musiciens du Wrecking Crew ont enregistré les pistes instrumentales de Pet Sounds). Wilson a adapté ce son dans le format long de l'album en écho à Rubber Soul des Beatles, dans une page fameuse d'émulation et d'échange de l'histoire du rock.

Tout cela est connu de quiconque considère la musique populaire, et le rock en particulier, comme quelque chose de plus qu'un simple divertissement commercial. Néanmoins, il est toujours important de rappeler les axiomes avant de poursuivre sur le reste d'une démonstration. Ainsi, nous terminerons ces considérations en rappelant qu'en poussant aussi loin une cohérence artistique d'un album sur la base des Beatles, et en transformant le studio lui-même en instrument de musique à la manière de Phil Spector, Pet Sounds constitue (avec Rubber Soul, Blond on Blond et Revolver, mais peut-être de façon plus évidente pour Pet Sound) une révolution et le début, dans le domaine du rock et de la musique populaire en général (hors jazz), de l'album en tant que véritable bloc artistique fondamental de cette nouvelle forme d'art qui s'annonçait

Car Pet Sounds a bel et bien une qualité presque inégalée aujourd'hui. Les harmonies vocales et l'arrangement sont d'une exceptionnelle qualité. L'arrangement, au-delà de l'innovation qu'il a apportée, mérite en particulier d'être loué tant il est original et rayonnant. En s'inspirant de l'Exotica et de la vieille musique d'ambiance des années 50 autant que de Phil Spector, Brian Wilson va bien au-delà de tous les ajouts orchestraux qui ont déjà pu être faits sur une base de rock, notamment par Roy Orbison, et crée ainsi des textures sonores aussi fascinantes qu'inventives. C'est un son riche et subtil, unique dans le sens où il a souvent été émulé mais jamais égalé.

En ressuscitant l'Exotica et en lui donnant une portée plus grande que celle d'une simple musique d'ambiance pour un appartement de célibataire, mais plutôt en l'utilisant comme écrin sonore pour une expression sincère de sentiments dans un ensemble cohérent, Brian Wilson a réussi à se forger l'outil parfait pour ce qu'il a voulu exprimer, avec des proportions de sophistication alors inédites. Cette filiation étrange s'entend particulièrement sur les deux instrumentaux, mais aussi dans chacun des morceaux de l'album. Le mélange des instruments dans l'arrangement est parfait, que l'on parle de l'utilisation conjointe de l'orgue et de l'accordéon, instruments normalement absents de ce genre de production, des pianos modifiés devenus emblématiques de Pet Sounds, ou encore de l'usage du Theremin, qui bien qu'apportant une touche d'électronique pionnière au sein de cet océan musical organique qu'est le Wrecking Crew, s'imbrique parfaitement avec le plus classique saxophone, complétant ainsi geste et propos sur le prophétique "I just wasn't made for this time"

Les paroles réalisées par Tony Asher sont sûrement l'un des éléments les moins vantés par l'hagiographie qui tourne autour de Pet Sounds. Pourtant, je pense qu'elles ont largement contribué à donner à cet album son aura en participant à lui conférer une résonance émotionnelle universelle particulière qui n'aurait pas fonctionné si les Beach Boys avaient adopté le registre surréaliste très populaire de l'époque en s'enfonçant plus profondément dans le psychédélisme.

Ce sont des choses très simples mais universelles qui sont exprimées dans les chansons de Pet Sounds, portant généralement sur le thème du passage à l'âge adulte. La chanson, en termes lyriques, la plus représentative de cela serait sûrement "That's not me" : "I try to be big in the eyes of the world but what matters to me is what I could be to just one girl." On ne peut pas nier que cela a dû résonner chez beaucoup de gens, et les harmonies complexes et l'arrangement novateur qui porte des paroles si directes n'ont pu que renforcer l'idée que cet album, par rapport à tous les autres, est spécial.

On peut parler aussi de "I Think I Just Wasn't Made For This Time", la confession de Brian Wilson sur son génie incompris et un sentiment d'être à part que beaucoup du public qui a découvert Pet Sounds au cours des décennies a pu ressentir. "God Only Knows", bien sûr, est l'un des sommets romantiques de l'album avec sa phrase liminaire emblématique ("I may not always love you, but as long as"), mais celle qui m'a le plus marqué serait plutôt "Here Today", quand j'ai enfin compris l'avertissement asséné dans les paroles, et "Wouldn't It Be Nice", que beaucoup de béotiens critiquent comme étant juste lyriquement parlant une expression de naïveté des années 60, est dans sa pureté et son élan un compliment parfait à la musique elle-même qui est, en termes d'harmonie et de mélodie, en plus d'être l'ouverture parfaite, probablement le sommet de l'album.

Il n'y a que "Sloop John B" qui m'a toujours frappé comme n'allant pas de soi au niveau des paroles, étant une reprise d'une chanson traditionnelle caribéenne racontant une histoire rigolote qui tranche avec la sincérité émotionnelle du reste de Pet Sounds. Néanmoins, "Sloop John B" est tout de même une très bonne addition et participe à rendre l'album aussi particulier.

Pour conclure, malgré tant de redites, redites qui doivent bien dater de 1967 mais qui ressurgissent presque à chaque génération, Pet Sounds demeure un sommet d'innovations et de mélodie digne de son statut si particulier dans l'histoire de la musique populaire occidentale.

20/20

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